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Note de blog du 2 juin 2025
Dans un article du 29 janvier dernier, Benoit Basirico parle des compositrices françaises et note que la proportion de femmes à ces postes dans des productions françaises est cette année de … 7,40 %. (1)
Un chiffre plus que ridicule. Entendons-nous, il ne s’agit pas de choisir une femme compositrice simplement parce qu’elle est une femme. En revanche, il est évident que si l’industrie du cinéma était idéale, la proportion de femmes présentes dans ce milieu ne serait certainement pas aussi ridicule. Et nous ne parlons même pas des minorités de genre et des personnes racisées.
Voyons donc ce chiffre comme un symptôme plutôt, mais un symptôme alarmant.
J’avais posé une question lors de l’Assemblée Générale de l’UCMF (aujourd’hui l’U2F) il y a quelques années : « Pourquoi voit-on si peu de compositrices dans les productions cinématographiques alors même que nous en croisons beaucoup plus comme étudiantes en composition ? ».
Que s’est-il passé depuis ? 7%. 7% en 2022. Un chiffre en progression par rapport aux années précédentes où le pourcentage oscillait entre 5 et 6 %, toujours d’après Benoit Basirico. Avouons que cette progression est plutôt catastrophique.
Je disais plus tôt que choisir une femme avec pour seul critère celui d’être une femme n’avait pas de sens, car cela nous ferait prendre le risque que les femmes deviennent simplement « remplaçantes » des hommes, ou pour paraphraser bell hooks, qu’elles prennent la place à la table du pouvoir alors qu’il s’agit de la renverser et de participer à la transformation radicale nécessaire de l’industrie cinématographique. Et là-dessus, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Rappelons-nous que la tribune de soutien à Polanski avait reçu de nombreuses signatures en 2009, avec notamment celle d’Alexandre Desplat (2), et plus largement même des organisations comme la SACD. Si la SACD a discrètement supprimé le lien de la tribune et des signatures de son site depuis, sauf erreur de notre part, seule Nathalie Portman a regretté publiquement d’avoir signé la tribune (3). Ajoutons ensuite la standing ovation pour Johnny Depp à Cannes (4).
Plus généralement d’ailleurs, sous couvert d’être apolitique et de célébrer « l’art », on accepte de mettre sous le tapis tous les rapports de domination existant dans l’industrie.
Heureusement tout de même, le travail militant pousse — non sans mal — les prises de conscience. La dernière tribune de Depardieu a fondu à rien, ne gardant que quelques vieux signataires qui se sont tour à tour rétractés en comprenant que le vent avait tourné et que l’impunité n’était plus aussi facile.
En même temps, il est triste de voir qu’après « #MeToo », après tant de témoignages, après avoir même entendu les réflexions horribles de l’acteur lui-même, l’ensemble du milieu ne se lève toujours pas d’indignation. Il est là le problème, et il est toujours bien réel. La culture du viol, les violences sexistes et sexuelles, la misogynie : tout cela rend difficile sinon presque impossible une plus grande présence des femmes dans le milieu.
Ajoutons que cette nécessaire transformation de l’industrie va de pair avec l’importance de multiplier les récits hors des modèles dominants. Notre industrie est comme notre société, elle pourra avancer avec de nouveaux récits : plus inclusifs, représentant d’autres modèles que celui des masculinités problématiques ou de l’hétéronormativité.
Je ne peux que citer Adèle Haenel qui le dit bien mieux que moi : “J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels, et plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est”.
On le constate d’ailleurs avec les Etats-Unis, la différence entre l’avant et l’après « #MeToo » est fascinante, dans le cinéma mais aussi dans les séries télévisées. Les espaces de résistance à l’idéologie dominante ont aujourd’hui bien plus de place, et nombreuses sont les séries ayant fait progresser les sujets liés aux oppressions systémiques : voyons « Friends » et puis regardons « Brooklyn 99 », ou comparons « Grey’s Anatomy » avant et après #MeToo ; le constat est flagrant, et s’il reste toujours du chemin, les problématiques sont abordées sans détour : racisme systémique, culture du viol ou violences policières, ces séries n’hésitent pas à aborder ouvertement les sujets et à les politiser.
Et que dire lorsque nous regardons Dans leur regard (When They See Us) réalisé par Ava Duverney ? Une série basée sur une histoire vraie mettant en scène une lutte pour la reconnaissance de ces quatre jeunes noir américains accusés à tort du viol d’une joggeuse blanche à New-York. Quel travail de mise en scène et d’utilisation du son et de la musique pour réaliser cette mini-série incroyablement marquante sur la violence d’un système judiciaire défaillant, profondément raciste. Nous en avons d’ailleurs fait une analyse ici : https://blogs.mediapart.fr/krishvy-naeck/blog/100620/ce-qu-un-son-de-trompette-peut-nous-dire-d-une-lutte-pour-la-reconnaissance-13
Enfin, si le milieu de la musique de film est autant en retard, c’est peut-être parce qu’il est moins évident que la musique a elle aussi un impact sur l’idéologie d’un film. On a tendance à ne la voir que comme une illustration de l’image ou un amplificateur d’émotions, un peu comme une mise en scène de grandes passions, sans conscientiser que les choix de composition musicale affectent l’ensemble des relations audios et visuelles. Ce faisant la musique permet de faire exister avec plus ou moins de poids des imaginaires et des lectures résistantes, et permet ainsi de poser de grands problèmes éthiques et politiques. Et c’est en cela que faire évoluer nos imaginaires passe aussi par la musique au cinéma : parce que, comme le dit Anahid Kassabian, « la musique de film constitue la société autant qu’elle est constituée par elle » (5).
Alors, faisons évoluer nos imaginaires, faisons évoluer l’industrie, et engageons vraiment une spirale positive en espérant que demain, nous ayons plus de compositrices mais aussi plus de personnes issues de la communautés LBGTQIA*, de personnes racisées ou marginalisées qui, conscientes des limites à l’imaginaire dominant, fassent exister ce que nous attendons du monde de demain.
D’ailleurs, pour commencer, je voudrais plus de personnes comme Adèle Haenel dans le cinéma de demain.
Sources :
(2) https://www.indiewire.com/news/general-news/over-100-in-film-community-sign-polanski-petition-55821/
(3) https://www.konbini.com/archive/natalie-portman-roman-polanski-regrette-petition/
(5) Kassabian Anahid, Hearing Film: Tracking Identifications in Contemporary Hollywood Film Music, New York / Londres, Routledge, 2001